Médecin, c’est un beau métier, un des rares métiers
où un humain se déshabille devant vous, et vous livre ses secrets, secrets que
vous serez les seuls à connaître. Mais cette confiance, il faut la mériter..
À ce jour, j’ai pris deux ans et demi de bonus de vie, avec soucis. Drôle de sentiment. Je mets des mots sur tout cela, sur la vie qui a basculé, en un instant, un futur qui dérive dans un monde parallèle à l’équilibre fragile. L’obscurité met en lumière mes fêlures, mes fragilités, et mes mots les traduisent
Ma confiance en mon oncologue est au point le plus bas. Je
ne suis plus en phase avec son cheminement d’idées. Ma rencontre de mardi fut
brève. Manifestement mon cas l’ennui, il navigue à vue, fonction de ce que je
lui dis, mais n’amène rien de nouveau, rien qui laisse présager qu’il en a encore
dans sa besace pour prolonger mon sursis. Mais il ne le dit pas. Je dois
imaginer, lire entre les lignes, me créer des scénarios, bref avancer dans le
brouillard.
L’hiver ne semble pas vouloir en finir, et moi, je ne peux
le quitter. La pénombre règne, mais où est la lumière ? J’ai la sensation de m’effacer
doucement. Pourquoi est-ce que je ne m’habitue pas ? J’aimerais tant remonter
le cours du temps au lieu de regarder la mort dans les yeux à longueur de
journée, me demandant à quel moment le vide va m’entraîner.
J’ai arrêté tous les traitements annexes. Corticoïdes, anti
nauséeux, anti dépresseurs, anti tout ce que vous voulez ! Je sature. Je me
fais violence pour avaler quelque chose de consistant à chaque repas. La
digestion est de plus en plus compliquée. La masse qui squatte mon foie est maintenant
bien visible et palpable. Elle compresse l’estomac, les poumons, entraînant ces
difficultés à digérer, et a respirer correctement.. C’est mon ennemi le plus
sévère, celui qui va m’emporter sans aucun doute.
Mon poids et en chute libre. J’ai souvent de moments de
faiblesse, mon activité physique est de plus en plus réduite, et de toute façon
quasi impossible. Je continue à mettre un point d’honneur à dormir à l’étage
malgré les difficultés, et à ne plus y retourner de la journée.
J’ai du faire une concession dans la salle de bain. Le
rajout d’une chaise pour m’aider lors de la phase d’habillage, car je suis parfois
à la limite de la chute, ce que je ne peux me permettre, les conséquences sur
mon ossature pouvant être importantes.
Cela fait bientôt trois semaines que je ne conduis plus. Je
ne me sens pas assez confiant dans mes capacités. Cela me manque. Encore une
réduction de ma liberté.
Je rêve toujours de moto. Mon plus grand regret, m’être
séparé de cet engin, mais je ne pouvais faire autrement. Mon projet de canam spyder,
trois roues et une marche arrière, est passé à la trappe. Je sais maintenant
que c’est terminé. De bons moments qui vont rester à l’état de souvenir,
ravivés par chaque passage de deux roues... veinards !
Continuez à lutter, mais contre quoi ? D’abord contre moi même,
ne pas baisser les bras, continuer à chercher ce rayon de soleil qui se fait de
plus en plus rare. Contre ce colocataire, qui a défoncé sa cage et que rien ne
semble pouvoir arrêter. Lutter contre le corps médical qui ne m’apporte plus de
réponse concrète et me laisse divaguer dans la pénombre. Lutter pour qu’il
prenne en compte que je suis encore bien vivant et combatif, prêt à tout ce qui
est possible d’accepter pour terrasser la bête.
Lutter aussi pour que l’on puisse choisir sa fin de vie, eh
oui, j’y pense de plus en plus souvent. (Pour ceux qui sont en phase avec cette
idée, rendez-vous sur ma page Facebook,
https://www.facebook.com/Lutte-contre-le-cancer-1730349690519469/
ou vous trouverez une pétition pour la mise en place d’un referendum sur la
question)
Quand la souffrance est trop grande, que le pronostic vital
est engagé, j’estime qu’un petit coup de pouce pour partir dignement est
humain. Bien sûr il se pose la question de qui va le faire. Personnellement,
branchez-moi un cathé, la seringue dessus et je vais appuyer sur le piston,
volant au passage le droit à mon colocataire de prendre en plus de mon corps,
mon âme !
Je sais que tout le monde n’est pas en accord avec cette
vision des choses. Mais quand on est en première ligne, que l’on se voit se
dégrader, que l’on sait que les souffrances physiques liées à la maladie vont
devenir insoutenables, et bien, le choix, il est évident, et sans appel !
J’ai du temps pour penser, retourner tout cela dans mon
esprit, encore et encore. Il y a la façade, ce que je présente aux proches, aux
amis, mes sourires, l’humour, le physique, certes abîmé, mais qui reflète
encore la vie. Mais n’est-ce pas qu’un reflet ?
Et il y a la réalité, un mal-être de plus en plus important
qui mine les pensées, bouffe l’énergie, dont je suis conscient, et contre lequel
je fais front, juste qu’a la tombée de la nuit, aux insomnies, au regard rivé
sur le plafond, lorsque le corps se repose et que l’esprit s’envole...
Je ne sais pas si parmi les lecteurs il y a des médecins.
Mais j’aimerais qu’ils puissent lire tout ce qui leur échappe, et finissent par
traiter le patient comme un tout, un corps, un esprit, un humain, pas
simplement une succession de symptômes traités à l’emporte-pièce. Qu’ils
comprennent notre besoin de comprendre le cheminement, comprendre le bienfait
de chaque action, donner du sens à tout cela.
Je crois que je vais arrêter là mes élucubrations.
C’est mon
jour de colère, besoin d’évacuer le trop-plein. La feuille blanche, c’est bon,
cela défoule. En plus elle n’est pas contrariante, elle écoute, retranscrit,
tout cela sans filtre.
Lundi, chimio... pourquoi ?
Merci Luc pour cette visite qui m'a redonné le sourire. Pas
de Spyder mais peut être un vélo électrique, pourquoi pas!
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